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Mathilde Fuchs pour la Coordination Handicap et Autonomie (CHA) - Vie Autonome France, association membre suppléant siégeant au Conseil de la Caisse Nationale Solidarité Autonomie (CNSA), est intervenue lors de la réunion du Conseil de la CNSA à distance de ce jeudi 23 avril 2020.

Femme en fauteuil roulant, tenant un panneau avec inscrit "#NosMortsNeSontPasAcceptables"

L’intervention de la CHA est motivée par les répercussions discriminatoires et mortelles en lien avec le contexte sanitaire de la pandémie du COVID 19.

Retrouvez l'intervention complète au format PDF.

« Bonjour, merci.

Moi j’ai l’impression depuis ce début de réunion, que l’on parle de tout et de tout le monde sauf des personnes handicapées et des personnes âgées.

Alors j’avais envie justement, et c’est le rôle de notre association, d’en parler.

Contrairement au GR 311, nous on aurait voulu faire une motion sur les difficultés rencontrées dans leur vie et même de manière vitale, par les personnes concernées.

J’ai trois points à évoquer et je vais le faire le plus vite possible.

D’abord le confinement.

On se rend compte que le confinement et bientôt le déconfinement, entraînent des règles discriminatoires pour les personnes handicapées (et âgées). Je vais vous donner des exemples.

De fait, dans la situation de crise sanitaire actuelle, les personnes qui vivent en institution, que ce soit en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou en établissement médico-social (EMS), ne peuvent pas avoir les mêmes possibilités que tous les citoyens de sortir2, de décider par elles-mêmes des risques qu’elles prennent, etc.

Dans notre association et de manière totalement générale, nous défendons l’autodétermination, le choix pour les personnes de décider pour elles-mêmes3.

Quand le président de la République a commencé à dire que les personnes vulnérables devraient sans doute rester confinées, je suis désolée mais c’est non, la personne décide des risques qu’elle prend pour sa santé etc.

Nous ne sommes pas des sous citoyens.

En EHPAD, les visites ont été totalement interdites, elles sont maintenant re-autorisées mais sous des conditions très limitées,

En EMS a priori y’a pas de visites. Les sorties c’est sous contrôle et sous le choix des directions et des professionnels.

C’est quand même des discriminations flagrantes pour nos droits les plus basiques.

Au domicile, les dérogations ont été très compliquées et sont encore très compliquées à mettre en œuvre4.

Les personnes qui ont besoin d’être accompagnées pour sortir de chez elles, faire leurs courses, etc. ont été et sont confrontées à des difficultés d’accompagnement.

Les services qui accompagnent les personnes à domicile ont, et c’est normal et partout pareil, des problèmes de personnel.

Elles ont dû aussi faire avec de nouvelles règles indiquant que seuls les besoins vitaux devaient être satisfaits, ce qui a engendré et engendre de grandes difficultés à faire valoir leurs droits par exemple à sortir prendre l’air une heure5.

En conséquence, cette situation a pesé plus lourdement sur les épaules de leurs aidants familiaux quand ils en ont.

Deuxième point évoqué : les protections individuelles

Pour plus de clarté, l’on parle des masques même si cela regroupe tout un ensemble, visières, gants, surblouses etc.

L’on sait qu’il n’y en a pas assez, en institution c’est flagrant, en prestataire à domicile l’on est passé d’une distribution organisée autour des pharmacies à un service organisé par les Agences Régionales de Santé (ARS), et certainement maintenant plutôt à un service organisé par les conseils départementaux, bref l’on ne sait pas si les gens ont suffisamment de masques.

Ce que nous savons par contre en emploi direct, lorsque les personnes embauchent elles-mêmes leurs assistant.e.s de vie pour les actes essentiels, cela a été et c’est encore tout un bazar, pour rester polie.

L’on nous demande de fournir des tas de paperasses et d’informations6, des consignes contradictoires surgissent chaque semaine, et parmi les choses qui me font le plus hurler, les personnes qui bénéficient de la prestation de compensation du handicap (PCH)7 ont droit à 9 masques par semaine et par salarié8, alors que les personnes qui bénéficient de l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA) n’ont droit qu’à 3 masques par semaine et par salarié, je ne sais pas pourquoi. Ont-elles moins de besoins que les miens ?

C’est un choix politique de moins protéger les personnes âgées et leurs salariés ?

Je ne sais pas, j’aimerais que l’on nous répondre sur ce genre de choses.

Quant aux aidants familiaux, sursollicités notamment par le fait que les services prestataires sont restreints mais aussi parce que certaines personnes ne souhaitent plus introduire de personnes extérieures chez elles en raison de moyens de protection insuffisants, ils ont droit à… 0 masques.

Les personnes handicapées et les personnes âgées, dont certaines sont extrêmement vulnérables et concernées par l’épidémie de coronavirus, ont reçu… 0 masques pour elles-mêmes.

Enfin, troisième point : les textes à destination de la DGS et des ARS sur le tri9

On parle quand du génocide eugéniste ? Mes mots sont pesés.

J’aurais voulu que l’on commence ce Conseil par une minute de silence pour tous nos morts, parce que quasiment la moitié des morts sont des personnes que le Conseil représente, c’est-à-dire des personnes handicapées et des personnes âgées vivant en établissement.

Pourquoi n’a-t-on pas fait cette minute de silence ?

Pourquoi n’a-t-on même pas, et vous Madame la présidente, pourquoi n’avez-vous même pas évoqué ces morts ?

Je vais donc expliciter mes propos, vous vous y attendez probablement, il va y avoir des procès car il y a eu, et il y a encore, du tri effectué parmi les personnes malades présentant les symptômes du Covid19, c’est-à-dire qu’il y a des personnes que l’on a décidé de ne pas soigner, c’est en cela que je parle d’eugénisme.

En institution, et l’on a mis beaucoup de temps à obtenir des chiffres, l’on se rend compte de l’énormité du pourcentage de personnes décédées en EHPAD. Ce sont des gens qui allaient très mal et qui, sciemment, n’ont pas été envoyées à l’hôpital.

Pareil à domicile, et là nous n’avons pas de chiffres, mais l’on a su et l’on sait qu’il y a des consignes pour les soignants, le SAMU, les médecins traitants, indiquant de ne pas envoyer des personnes comme moi, comme des personnes âgées, comme des personnes handicapées avec déficience intellectuelle, etc. à l’hôpital, parce que soi-disant nos vies valent moins.

Autre aspect et qui est beaucoup moins virulent : l’accompagnement à l’hôpital.

Déjà en temps normal, les personnes dépendantes ont souvent des difficultés à faire entendre leurs besoins d’accompagnement par des tierces personnes, familles ou professionnels de l’accompagnement, nécessaires à leur quotidien, parfois leur communication, leur vie, leur survie.

Alors là en temps de crise sanitaire, cet accompagnement est totalement nié.

Voilà j’en arrête là, je voulais vous dire que je ne vais pas rester car je trouve insupportable de pouvoir imaginer que vous allez voter le budget et parler de choses autres que ces problématiques vitales que rencontrent les personnes actuellement. »

Notes:

  1. Le GR 31, groupe de 31 organisations siégeant au Conseil de la CNSA (et qui représentent soi-disant les personnes handicapées et les personnes âgées) a proposé ce 23 avril une motion visant à octroyer des primes pour les professionnels des établissements et des services médico-sociaux (ESMS). ⬆️
  2. Pas d’« attestation de déplacement dérogatoire » possible pour les résidents en institution. ⬆️
  3. La CHA est opposée à toute forme d'institutionnalisation en établissement comme à domicile, mortifère pour le libre choix de la personne et pour ses droits fondamentaux. ⬆️
  4. Citons aussi le domaine des transports avec les services Accès Plus et Accès TER qui ne fonctionnent plus depuis le début du confinement. ⬆️
  5. Seuls lesdits « actes essentiels » pour les personnes ayant un handicap moteur sont pris en considération. Les autres accompagnements, par exemple pour les personnes autistes, sont totalement réduits ou inexistants. ⬆️
  6. La CHA est outrée de ce qui se passe, gigantesque foutoir. Maintenant, non seulement il faut fournir des bulletins de salaire, la notification PCH, mais aussi l’adresse mail de la personne handicapée et son numéro de sécu, l’officine pharmaceutique devant rentrer cela sur ameli. ⬆️
  7. Quid des bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP)? ⬆️
  8. qui signifie que si l’auxiliaire a plusieurs employeurs elle a droit à 9 masques pour chaque employeur est interprétée de la manière suivante : chaque employeur a droit à 9 masques par semaine. ⬆️
  9. La DGS a reçu ces instructions du COREB. Les ARS ont reçu des instructions similaires, qui ont été traduites en recommandations (exemple de l'ARS d'Ile-de-France).
    Les critères d'admission en soins critiques comprennent ainsi: « Etat préalable sous-jacent du patient : âge, comorbidités, état cognitif, fragilité, autonomie, état de nutrition et environnement social avec :
    - Score de fragilité clinique validé en français ou s’ils sont déjà à notre disposition score GIR, échelle d’autonomie de Katz et indice de performance de l’OMS» ⬆️