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Message d'alerte

Voici un résumé de l’article paru le 26 novembre 2011 sur le site Rue89, à l’initiative de parents d’un jeune homme polyhandicapé, intitulé comme suit : « Parents d'un handicapé, le succès d’Intouchables nous inquiète »

« Pour ce couple à la recherche d'un centre pour leur fils polyhandicapé, l'Etat peut profiter de l'engouement du public pour mieux livrer les familles à elles-mêmes. »
« Nous, parents d'un jeune homme polyhandicapé et sourd, avons obtenu, il y a quelques jours, une audience auprès d'un membre du cabinet de Monsieur Dominique Baudis, Défenseur des droits.
Nous étions reçus suite à un courrier que nous avions envoyé dénonçant le manque de structure d'accueil pour les jeunes polyhandicapés sourds, mais aussi le manque d'accompagnement des familles.
Après un entretien d'une heure et quart, nous avons compris que nous n'avions rien à faire là, que des droits, nous n'en avions pas.
En effet, la démonstration a été faite sous nos yeux d'un désengagement assumé et volontaire de l'Etat sur les questions du handicap. Voici ce que nous avons entendu : que nous étions seuls responsables – voire coupable – de ce jeune homme handicapé.
Nous avons entendu que dans les années 80, les mères des handicapés ne travaillaient pas et montaient les structures d'accueil nécessaires car, à cette époque, les parents étaient plus entreprenants. Ce qui était sous-entendu, c'est que nous ne faisons rien, et que nous attendons tout des autres (voire de l'Etat).
[…]A la fin de l'entretien, et alors que nous allions partir, notre interlocutrice nous a tendu un article du quotidien Aujourd'hui sur le succès du film Intouchables. C'est sur cela que nous nous sommes quittés ».
« Ce film est un merveilleux filtre de la réalité »
« L'engouement pour ce film, qui sert même de modèle dans les plus hautes sphères de l'Etat, pose quelques questions que nous voudrions aborder ici.
Pourquoi ce film a-t-il autant de succès ? Avançons quelques hypothèses.
Tout d'abord le film raconte l'histoire d'un homme riche, travaillant dans le luxe, qui se retrouve arrêté dans sa course et paraplégique. Le public adore. Il peut s'identifier, se dire que cela peut arriver à tout le monde […].  Il peut se payer l'aidant qu'il veut, celui qui le fera vibrer et lui permettra toutes les folies dont il rêve. Là aussi, sa richesse plaît, elle soulage. Car, qui voudrait voir ou savoir que les handicapés sont, dans la réalité, maintenus en dessous du seuil de pauvreté ?
Pour conclure, il nous semble, sans pour autant nier le plaisir que certains peuvent y prendre, que ce film est un merveilleux filtre de la réalité. Une ode aux « soignants-naturels » que l'Etat rêve de voir proliférer pour mieux se désengager. Un filtre qui donne bonne conscience et qui permet au spectateur de ne pas voir ce qui se trame en coulisse. […]»
Deux après la publication de cette lettre, que peut-on retenir ?
Toujours d’actualité, le fait que pour une majorité de Français, un Etat qui s’engage, c’est une nation qui sait prendre en charge les personnes en établissement spécialisé. Une prise en charge tellement généralisée qu’aujourd’hui -situation ubuesque-, les places s’avèrent insuffisantes. L’atteste l’affaire d’Amélie, récemment médiatisée, une enfant polyhandicapée restée sans structure d’accueil, qui valut l’intervention de notre ministre déléguée aux personnes handicapées, Mme Carlotti. Et l’atteste, chiffres à l’appui, l’exil de quelques 3000 autistes en terres belges.
Toujours à la page, le conservatisme et les photographies déconnectées de la réalité. La réaction de l’interlocuteur du Cabinet du Défenseur des Droits soulignée dans cette lettre n’en est qu’une pâle illustration : il est clairement énoncé que le handicap doit être porté par les proches de l’usager, comme au siècle dernier. Et que dire de son geste, lorsqu’ en fin de séance, il tend l’article relatant le succès du film « Intouchables » à ces parents désarmés ? D’aucuns diront qu’il ne témoigne en rien de la réalité d’une personne dite handicapée, qui a fait le choix de vivre à domicile. Ce n’est pourtant pas une découverte : si ce film a tant plu, c’est justement parce qu’il a rapproché deux univers sociaux qui jamais ne se côtoient, dans une réalité qui en définitive, n’existe pas ! (Même si l’histoire est inspirée de faits aussi réels qu’exceptionnels…) Une belle allusion à cette jolie fable dans un Cabinet du Défenseur des Droits, n’est-ce pas là le symptôme d’un syndrome illusoire qui porte à croire que vivre aujourd’hui chez soi en toute autonomie, c’est l’avènement de la dignité humaine ?
Deux années ont coulé depuis cette lettre, et le paradigme n’a pas changé. D’un côté, un nombre de places en établissement spécialisé jugé insuffisant par un système médico-social qui, ironie du sort, prône l’inclusion à grands coups médiatiques (colloques, forums, appels à projets et Cie), de l’autre, des coups de ciseaux féroces dans les maigres prestations proposées aux personnes qui refusent l’enfermement généralisé et souhaitent VIVRE, chez elles. Et dans cette alchimie qui laisse peu de place à la liberté de choix des personnes handicapées, l’opinion publique, confortée par le concept apaisant et molletonné de l’absolue prise en charge des personnes handicapées, que ce soit en établissement, ou lovées dans leur cocon à domicile, avec des aidants souriants car bien payés.
Qui, en 2014, veut bien voir la réalité ? Qui entend les personnes, en amont du terme « handicap » ?
A quand l’inclusion ? Celle que nous appelons de nos vœux…

Jean-Pierre Ringler et Vanessa Jeantrelle