
La Coordination Handicap et Autonomie – Vie Autonome France a l’immense chagrin d’apprendre le décès de Mireille STICKEL survenu le 7 novembre 2025, à deux pas de ses 70 ans.
Le seul nom de Mireille STICKEL invoque la puissance d’un engagement corps et âme de toute une vie. Il fait partie de ceux qui marquent l’histoire française du très long chemin de l’accès à l’autonomie des personnes handicapées, et notamment des personnes en situation de dépendance vitale.
Mireille est née « Infirme Moteur Cérébrale » (I.M.C.). Il s’agit d’un handicap acquis le plus souvent au moment de l’accouchement et qui a engendré pour elle des problèmes majeurs de coordination des membres, de la tête et de l’élocution.
« Moi, du soir au lendemain, j’ai quitté un centre où on a refusé un soir de me mettre aux toilettes : « Ce n’est pas l’heure ! » a-t-on répliqué à ma demande appuyée. Après avoir tempêté, j’ai décliné de me dévêtir et d’avaler mon traitement, pour tenter de déclencher un éclair de lucidité : vain effort! On m’a pieutée par contrainte, avec mes tourments intestinaux. Si je suis honnête, je reconnais avoir encore des séquelles. » (Handinova, août 2015)
Fuyant des conditions de vie déshumanisantes, à une époque où il n’était pas possible de financer des aides humaines 24 heures sur 24, Mireille a tout expérimenté pour pouvoir vivre à sa guise, les services prestataires d’aide humaine ou de soins à domicile, la vie communautaire avec aide intégrée, l’hébergement chez elle de « colocataires » qui acceptaient d’assurer une présence de nuit, de répondre à des imprévus, etc …
Mireille, de par sa longue expérience en établissement puis à domicile, avait acquis une certitude, qu’elle développera régulièrement dans ses écrits et ses interventions : « l’organisation de mon quotidien par autrui parvient forcément au morcellement de ma vie et plus grave, de mon corps ».
« Pour me présenter, il y a un détail important : le terme « maintien à domicile » m’horripile ! En effet, mon but n’est pas d’être « maintenue » où que ce soit, mais de mener ma vie, accompagnée certes, comme je l’entends !!! Pour moi, la nécessité physique d’une aide humaine ne peut être prétexte à laisser d’autres concevoir à ma place ce qui me concerne ».
A partir de ce constat faisant se rejoindre les conséquences désastreuses de l’institution dans les murs et de l’institution chez soi, Mireille a privilégié le mode autogéré, avec les associations « Vivre autonome » à Grenoble, et « Rescousse » à Montpellier, puis les derniers temps de sa vie a sauté le pas pour devenir particulier employeur en situation de handicap, en dépit des difficultés et des incertitudes juridiques de ce mode de recours à l’aide humaine.
« Ma vie fut une suite de combats ! » disait Mireille;
Alors âgée de 27 ans, « avec six autres personnes, elle s’était enchaînée, mardi 3 mai 1983 à l’une des portes du ministère de l’Éducation Nationale, pour protester contre l’interdiction qui lui est faite de se présenter à l’agrégation de physique. » (Le Monde, mai 1983) À l’issue de multiples démarches et recours, Mireille finira par obtenir ce droit puis le Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré (CAPES), et aura une longue carrière professionnelle par le Centre National d’Enseignement à Distance (CNED) jusqu’à sa retraite.
Les combats vitaux concomitants de Mireille STICKEL de Montpellier et Marcel NUSS de Strasbourg harcelant le gouvernement de l’époque firent que par ce même gouvernement, ils purent faire connaissance.
Rejoignant Marcel dans sa détermination, menaçant de faire la grève de la faim, Mireille avec d’autres personnes en situation de dépendance vitale, faisaient le siège de l’Élysée en mars puis novembre 2002. Ils obtenaient un certain nombre de mesures transitoires dont le « forfait grande dépendance » pour les « personnes très lourdement handicapées » (PTLH).
« En faisant irruption dans le débat policé entre associations et État, l’action déterminée conduite par Marcel NUSS et entouré de Jocelyne BEZZINA, de Monique MARESTIN, de Mireille STICKEL, de Marie-Françoise SALOMON, de Philippe STREIFF, de Thierry BEAUVAIS, de Bernard MALLER, a changé les données habituelles de la négociation. » (Yanous 15 mars 2002)
Le mouvement de la Coordination Handicap et Autonomie (CHA) était né, donnant naissance en 2004 à l’association du même nom. N’est-il pas drôle de se dire qu’en quelque sorte le gouvernement est à l’origine de cette naissance, en ayant mis en contact deux de ses cofondateurs, Marcel et Mireille ?
Plus tard, durant les travaux relatifs à l’élaboration de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et de ses textes d’application, la CHA obtenait le 24 heures sur 24 déplafonnable en heures d’aide humaine de la toute nouvelle prestation de compensation du handicap (PCH), en remplacement du 12 heures sur 24 imposé. 
Dans le cadre du « Groupe de Suivi de la Mise en Œuvre » de cette loi mis en place sous l’égide du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) « pour répondre à la demande prégnante de participation des personnes en situation dite de « grande dépendance » », Mireille intervenait en 2007 au nom de la CHA. Cette intervention développait ce que signifiait au quotidien pour les personnes concernées une situation de « dépendance vitale » dénomination appropriée à la réalité, rejetant l’imprécision et le flou de la terminologie de « grande dépendance ».
Elle insistait sur la spécificité de cette relation très particulière de dépendance à autrui qui ne ressemble pas aux autres relations sociales, et sur la nécessité de la prendre en compte pour que « égalité des chances », « participation » et « citoyenneté » ne sonnent pas le creux.
« Mes difficultés de prononciation ne sont, pour moi, qu’un moyen, un outil, pour concrétiser l’absence de droit à l’expression réelle que connaissent les personnes en situation de dépendance vitale, car, si ce n’est leur articulation qui fait obstacle (moi, je me suis donné les moyens de le surmonter), ce peut être la peur, l’habitude du déni, du silence, ou le risque vis-à-vis d’un quelconque « énoncé de ressenti »… Quand sa propre vie, ou bien celle de l’autre, dépend de la réalisation d’un acte, on ne peut pas se permettre que l’acte ne soit pas réalisé. Si l’expression doit remettre cet acte en cause, on se tait, quitte à serrer les dents et à ne plus être du tout en accord avec soi-même, au bout d’une certaine accumulation.»
« Impossibilité de fuir = silence ». Toute sa vie Mireille a insisté sur cette problématique essentielle de la peur empêchant la libération de la parole des personnes dépendantes d’autrui. La photo de Mireille prise lors de la manifestation de mai 2006 sera reprise dans sa « Lettre illustrée à la CNSA », à la suite de la réunion du 30 septembre 2016, pour présenter le guide d’évaluation PCH en cours de mise en place. « Non ! notre vie n’est pas virtuelle comme dans une grille de Tamagoshi !!! » En préambule, Mireille précisait que cette lettre faisait suite à une réunion où elle avait eu « très peu l’occasion de s’exprimer », et que c’était en tant « qu’observatrice concernée et avertie » qu’elle réagissait. Cette lettre illustrée reste un morceau d’anthologie, du pur crû de Mireille.
Patricia et Mathilde se souviennent de son arrivée très remarquée à cette réunion, avec ses auxiliaires de vie, son équipement de voyage et tout son barda (lève personne, bagages), venant tout droit de Montpellier et de la gare SNCF jusqu’aux locaux parisiens de la CNSA. De stupeur, et sans doute par méconnaissance absolue et récurrente du véritable sujet de son « étude », un membre du cabinet conseil s’était exclamé « c’est quoi ça ! ? » Un moment mémorable et tellement symbolique.
Faisant allusion à la présentation effectuée par le cabinet conseil ce jour-là, elle réagissait. « Ainsi, le déroulement de ma vie serait-il, dans le futur, déterminé par un paramétrage issu du travail de seuls candidats « professionnels », sur des études de « cas fictifs » désignés comme « représentatifs » … Long défilé de tableaux, courbes et chiffres conclusifs, le déroulement de cette présentation m’a fait penser, à moi, personne réelle concernée, à certains reportages sur les recherches de rentabilité d’unités de production de poules pondeuses ou autres animaux élevés comme source d’alimentation : honnêtement, cette sensation est fort pénible, et interroge sur la place que je suis censée occuper dans une société m’abordant, ainsi que mes pairs, de telle façon … »
Cofondatrice de la CHA, Mireille STICKEL en a toujours été vice-présidente, allant jusqu’à en assurer la présidence temporaire en 2015 lors d’une période dramatique de la vie de l’association.
Mireille n’hésitait pas à passer des nuits à compléter et corriger des textes militants afin que chaque mot, chaque phrase soit impeccable, implacable. 
Mathilde FUCHS, membre du Bureau de la CHA, se souvient des heures passées sur Skype en tête à tête avec elle munie de sa licorne (dispositif lui permettant de taper sur le clavier de l’ordinateur par des mouvements de sa tête) à relire ou poursuivre la rédaction d’un texte collectif, séances de travail acharné, interrompues épisodiquement par le chat de Mireille grimpant sans vergogne sur le clavier venant lui caresser la tête et ne repartant que lorsqu’il a obtenu ce qu’il voulait.
En 2022, pour la conférence sur la vie autonome organisée par la CHA le 24 juin à Rennes et en visio, Mireille traversait une fois de plus la France par le train. Son intervention portait sur la dérive gestionnaire du handicap, où la logique économique et institutionnelle menace la dignité, la liberté et la citoyenneté des personnes et où l’aide humaine devient une industrie, non plus un soutien à la vie. Elle y dénonçait notamment la diminution des heures de PCH, la situation des salariés sous-payés, une qualité d’accompagnement en plein effondrement, un état de précarité engendrant stress, déshumanisation et parfois maltraitances.
Face à un système où la dépendance devient économiquement rentable, Mireille a appelé ce 24 juin 2022 à résister pour préserver le droit fondamental à la vie autonome. Après la conférence, la plupart des participants s’étaient retrouvés pour un dîner improvisé chez un des participants, une belle rencontre entre militants et des échanges émouvants avec Mireille sur son enfance.
Dernier souvenir de notre amie aux multiples facettes, qui savait par ailleurs tellement s’amuser et rire, si magnifiquement dans une conversation, pratiquer l’art de l’ellipse.
Salut Mireille, unique et inoubliable ! ! !