Suite à la saisine de la Défenseure des Droits par l'AFM-Téléthon et APF France Handicap pour mise en danger de la vie d’autrui et non assistance généralisée à personnes en danger, nous avons voulu mettre en avant nos constats et revendications sur l'aide humaine en France. Vous pouvez trouver ci-dessous notre courrier.
Préambule
Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) et son Protocole facultatif, ratifiée par la France en 2010
Article 19 – « Autonomie de vie et inclusion dans la société »
« Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l'égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu'elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ;b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d'accompagnement, y compris l'aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s'y insérer et pour empêcher qu'elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ; (...) »
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Article L. 114-1 du Code de l'Action Sociale et des Familles
« Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté.L'Etat est garant de l'égalité de traitement des personnes handicapées sur l'ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d'actions. »
Article L.114-1-1 du Code de l'Action Sociale et des Familles
« La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. (...) »
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Madame la Défenseure des Droits,
Notre courrier fait suite à votre saisine par l’APF France Handicap et l’AFM-Téléthon pour mise en danger de la vie d’autrui et non assistance généralisée à personnes en danger.
La Coordination Handicap et Autonomie (CHA) est une association nationale créée en 2004 qui regroupe des personnes quels que soient leur âge et leur « handicap », avec le soutien ou non de leurs proches aidants, qui vivent ou qui désirent vivre à domicile, ainsi que des personnes qui résident en institution, souhaitant entamer une démarche d’autonomie. Nous agissons pour permettre à tous d’accéder effectivement à l’autodétermination et à la vie autonome par un accompagnement humain individualisé.
Notre association partage pleinement le constat de péril imminent et d’atteinte grave à la sécurité, à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes en situation de handicap nécessitant un accompagnement à domicile pour tous les actes de la vie quotidienne qui vous a été adressé. Les associations APF France Handicap et AFM-Téléthon vous ont apporté tous les témoignages nécessaires pour vous rendre compte de la situation.
Comme tout citoyen, une personne en situation de handicap doit pouvoir vivre en toute sécurité, tant morale que physique. Comme tout citoyen, une personne en situation de handicap ne doit pas se voir nier son libre arbitre et son droit à une vie autonome sous prétexte de sécurité et de facilité de gestion, négations synonymes de privation de ses libertés fondamentales : choix du lieu de vie, des personnes avec qui l’on vit, du rythme de vie, de ses études, de son travail, de ses loisirs, de ses sorties. Comme tout citoyen, non condamné judiciairement, tant le respect des libertés qu’une sécurité minimum sont des droits imprescriptibles.
En conséquence, il est fondamental que nous ayons tous le choix de notre accompagnement, tant en termes de modalités que de personnes. Plusieurs des témoignages qui vous ont été adressés montrent la souffrance, voire le déni d’existence, engendrés lorsque ces choix sont bafoués.
Malgré l’existence de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) et de son volet aide humaine, de grandes difficultés subsistent à l’échelle nationale pour obtenir un accompagnement à la hauteur des besoins reconnus, difficultés que nous dénoncions déjà en 2018 via de nombreux témoignages[1].
Si nous voulons trouver des solutions, il faut reconsidérer l’approche actuelle de l’accompagnement, avant que n’éclate au grand jour un scandale du type de celui des EHPAD.
Nous avons en France deux modes principaux de recours à l’aide humaine : l’appel à un service prestataire ou l’emploi direct d’assistant de vie.
De nombreuses personnes en situation de handicap se tournent vers un service prestataire en pensant exposer leurs besoins, leurs souhaits, leurs contraintes, leurs envies, leur rythme de vie, leurs activités et recevoir un accompagnement adapté. Dans les faits, une très large partie des services prestataires fait passer ses contraintes de personnel avant la vie de leurs clients. Les refus de prise en charge pour les personnes les plus dépendantes, en particulier avec des délégations de gestes de soins (pourtant prévue par l’article L.1111-6-1 du Code de la Santé Publique), sont fréquents, les services refusant de former leur personnel. Quand la prise en charge est assurée, les clients se voient imposer des intervenants sans considération pour leur intimité, ou des horaires d’intervention sans rapport avec leur projet et choix de vie[2]. Cela s’appelle de la maltraitance, d’autant que les victimes de ces maltraitances préfèrent se taire, accepter, subir, pour ne pas voir leur prestataire les abandonner.
Le prestataire a lui-même les contraintes d’une convention collective qu’il doit respecter, convention qui se décide sans lien avec les personnes directement concernées : les personnes handicapées.
Enfin, le nouveau cahier des charges des Services Autonomie à Domicile publié par décret le 13 juillet 2023, en fusionnant des services médicaux aux services d’accompagnement, nous fait craindre une re-médicalisation de l’aide aux personnes handicapées de nature à nuire davantage à notre autonomie, ainsi qu’une limitation du choix du prestataire par une répartition du territoire entre les différentes entreprises d’aide à domicile. Notre considération en tant que sujets de droit et non d’objets de soins est pourtant indispensable pour sortir du cycle de maltraitance systémique.
Au vu de toutes ces difficultés, de nombreuses personnes en situation de handicap se tournent vers l’emploi direct d’assistants de vie. La Prestation de Compensation du Handicap prévoit la possibilité de choisir ce type d’accompagnement, aidé ou non par un mandataire. Les services mandataires sont censés apporter un accompagnement administratif, juridique, et transactionnel aux employeurs directs, et non, comme certains le pratiquent pourtant, se comporter en services prestataires à prix cassé tout en reportant tous les risques juridiques et financiers sur les personnes handicapées.
L’emploi direct nous permet de choisir nos accompagnants, de les former, de définir les lieux et les temps d’interventions selon nos besoins réels. Il limite la valse des intervenants souvent récurrente en mode prestataire, qui constitue un véritable frein à l’autonomie.
Cependant, cette solution reste beaucoup trop complexe. Le manque de personnel, souvent invoqué, n’est pour la CHA qu’un symptôme des décisions politiques rendant le recours à l’emploi direct trop difficile.
Tout d’abord, la convention collective nationale des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile, mélangeant dans un même texte de nombreux métiers n’ayant aucun rapport avec l’accompagnement de personnes en situation de handicap, n’est pas adaptée aux réalités de notre vie et à nos besoins d’autonomie. Elle place les employeurs en situation d’insécurité juridique tout en ne protégeant aucunement les salariés. Savez-vous qu’il existe 4 salaires minimum en cas de présence de nuit, suivant le déroulé de chacune des nuits ? De plus, les organismes de gestion de la formation continue des salariés du particulier employeur refusent de financer les formations pour nos assistants de vie en cours d'année, bien que nous cotisions chaque mois en notre qualité d’employeurs, semble-t-il par manque de budget, probablement suite à cette nouvelle convention.
La Prestation de Compensation du Handicap (PCH) est notoirement insuffisante pour couvrir l’ensemble des obligations légales minimales d’un particulier employeur. Lors de la Conférence Nationale du Handicap du 26 avril 2023, le Président Emmanuel Macron a annoncé l’augmentation future du tarif de la PCH Emploi Direct. Au-delà de savoir comment nous devons faire pour financer notre aide humaine dans le respect des dispositions légales tant que l’annonce ne s’est pas concrétisée, le mode de versement et de contrôle provoque toujours une grande insécurité juridique et financière pour nous et nos familles. La gestion des arrêts maladies de longue durée ou le décès de l’employeur sont deux exemples d’aléas complètement ignorés par les modalités actuelles de la PCH, qui pourraient pourtant être financés à moindre coût par rapport à un service prestataire.
Enfin, les pratiques de nombreuses MDPH et Conseils Départementaux sont eux aussi de nature à forcer les personnes en situation de handicap employeur direct de leurs assistants de vie à tomber dans l’illégalité. Aucune MDPH n’est capable d’orienter correctement les bénéficiaires devant la complexité des obligations légales d’un employeur. Certaines MDPH forcent leurs bénéficiaires à utiliser des plateformes de paiement de la PCH Emploi Direct qui les empêchent d’accomplir toutes leurs obligations légales payantes, telles que l’inscription des salariés à un service de santé au travail ou la participation aux frais de transport. Et même quand elles ne forcent pas l’utilisation d’une plateforme restrictive, les services de contrôle d’effectivité des Conseils Départementaux sont souvent incapables de suivre l’ensemble des dispositions légales et refusent l’utilisation de la PCH pour financer ce qui est pourtant légalement indispensable.
Dans ce contexte, nos proches sont trop souvent obligés de se changer d’« aimants » en aidants et se retrouvent, en tant qu’ultimes recours, dans des situations bloquantes, personne ne pouvant les relayer. Cela conduit à une charge mentale, à une responsabilité de présence et à de vives inquiétudes concernant la réalisation de nos besoins essentiels. Et que deviennent les personnes n’ayant pas d’entourage familial pouvant intervenir ?
Cette charge mentale existe aussi pour un certain nombre de salariés tant de services prestataires qu’en emploi direct, qui doivent prendre sur eux pour pallier ces situations déshumanisantes, en arrivant par épuisement à nous mettre en péril, à perdre eux-mêmes santé et vie privée.
Face à ces difficultés, dont aucune n’est pourtant une fatalité, il n’est pas étonnant que les aspirants assistants et auxiliaires de vie fuient le secteur et que nous, personnes en situation de dépendance, voire de dépendance vitale, nous nous trouvions confrontés à de graves dangers, mettant en péril nos existences mêmes.
L’adaptation de la législation et de la réglementation, notamment le droit du travail et les conventions collectives, aux réalités de nos vies, la mise en place ou l’appui à des services d’accompagnement, la fin de la gestion médico-sociale rationalisée de nos existences, ou encore de meilleures articulations entre les différentes modalités d’aide humaine, s’avèrent indispensables pour lever ces mises en danger.
Il est d’autant plus urgent de s’y atteler que le seuil d’alerte se trouve plus que largement dépassé et que le nombre de personnes dépendantes ne fait que prévisiblement s'accroître.
Nous sommes à votre disposition pour vous exposer plus en détails nos constats et préconisations et nous vous prions de croire, Madame la Défenseure des droits, à l'assurance de notre parfaite considération.
[2] : Ainsi, la MDPH de Meurthe-et-Moselle considère le coucher après 20h d’une personne handicapée comme « tardif », https://twitter.com/Celinextenso/status/1580515641374953473